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Philosophie des Sciences...

Les problèmes de causalité qui se posent en sciences sociales sont complexes. L’approche contrefactuelle mise en place au cours des années 1970 par David Lewis peut être définie comme suit : Un événement E dépend de façon contrefactuelle d’un événement C si et seulement si C n’était pas survenu, E ne serait pas arrivé. Son application aux statistiques et aux sciences sociales, largement utilisée aux Etats-Unis, pose de nombreux problèmes. En premier lieu, si l’on accepte qu’il n’y ait pas de causalité en science sociale sans manipulation, l’intervention de caractéristiques non manipulables, comme le sexe et l’âge, rend ce critère sans valeur. C’est ainsi que nous avons pu montrer que l’effet de l’âge sur la mobilité spatiale disparait dès que l’on fait intervenir des caractéristiques de l’individu sur lesquelles, cette fois-ci une action politique est possible. En second lieu, son utilisation en statistiques conduit à une hypothèse ‘fataliste’ que l’on ne peut jamais tester empiriquement : elle considère les différentes réponses potentielles comme des attributs prédéterminés d’un individu, alors qu’on ne peut pas le vérifier, comme l’a dit Dawid en 2000.Cependant il faut éviter de dire, comme Herbert Smith en 2003, que nous mesurons au niveau micro mais nous agissons au niveau macro et rejeter les analyses au niveau individuel, car cette attitude peut conduire à des mesures politiques incorrectes. Ainsi, l’exemple développé dans la partie Paradigmes et axiomes de ce site, montre que l’analyse macro conduirait, si l’on désire agir sur la mobilité des agriculteurs, à une politique d’incitation à cette mobilité dans les zones à faible proportion d’agriculteurs, alors que l’analyse multiniveau montre que cette mesure ne serait d’aucun effet : en fait cette proportion n’agit que sur la probabilité de migrer des non agriculteurs L’approche mécaniste mise en place à la fin des années 1990, mais déjà présente sous une forme légèrement différente dès le XVIIème siècle avec Descartes et Leibniz, permet d’éviter cet appel à des attributs non vérifiables. On peut définir un mécanisme comme suit : Un mécanisme pour un phénomène consiste en des entités et des activités organisées de telle façon qu’elles l’entrainent forcément. Un événement est alors la cause d’un autre s’il y a un mécanisme qui les relie. Disons ici pour simplifier, suivant Robert Franck en 2002, qu’une première étape, pour mettre en évidence un mécanisme, va être d’observer systématiquement le phénomène social que l’on veut expliquer : c’est ce qu’a fait le démographe depuis 350 ans. La seconde étape consiste à inférer de l’observation de ce phénomène les fonctions du mécanisme qui sont nécessaires à sa génération : c’est un pas que malheureusement la démographie n’a pas encore réussi à franchir. La troisième étape va modéliser le mécanisme social qui génère le phénomène étudié, à partir des fonctions mises en évidence : certains de ces mécanismes ont déjà pu être étudiés dans certains cas en démographie, mais la méconnaissance des fonctions va rendre cette étude incomplète et surtout guère généralisable. La quatrième étape va vérifier si la combinaison des fonctions ainsi dégagées permet de guider l’analyse causale du processus et accroître sa pertinence. La mise en perspective de paradigmes différents en sciences de la population permet déjà une avancée dans ce domaine, qu’il serait utile dans un second temps d’axiomatiser. Notre travail dans ce domaine ne fait que commencer, et doit être poursuivi à l’avenir.Références : Boston Dordrecht London.Lewis, D. 1973. Counterfactuals. Blackwells: Oxford.-Smith, H., 2003. Some thoughts on causation as it relates to demography and population studies. Population and Development Review, 29(3), pp. 459-469
Causalité
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Les problèmes de causalité qui se posent en sciences sociales sont complexes. L’approche contrefactuelle mise en place au cours des années 1970 par David Lewis peut être définie comme suit : Un événement E dépend de façon contrefactuelle d’un événement C si et seulement si C n’était pas survenu, E ne serait pas arrivé. Son application aux statistiques et aux sciences sociales, largement utilisée aux Etats-Unis, pose de nombreux problèmes. En premier lieu, si l’on accepte qu’il n’y ait pas de causalité en science sociale sans manipulation, l’intervention de caractéristiques non manipulables, comme le sexe et l’âge, rend ce critère sans valeur. C’est ainsi que nous avons pu montrer que l’effet de l’âge sur la mobilité spatiale disparait dès que l’on fait intervenir des caractéristiques de l’individu sur lesquelles, cette fois-ci une action politique est possible. En second lieu, son utilisation en statistiques conduit à une hypothèse ‘fataliste’ que l’on ne peut jamais tester empiriquement : elle considère les différentes réponses potentielles comme des attributs prédéterminés d’un individu, alors qu’on ne peut pas le vérifier, comme l’a dit Dawid en 2000.Cependant il faut éviter de dire, comme Herbert Smith en 2003, que nous mesurons au niveau micro mais nous agissons au niveau macro et rejeter les analyses au niveau individuel, car cette attitude peut conduire à des mesures politiques incorrectes. Ainsi, l’exemple développé dans la partie Paradigmes et axiomes de ce site, montre que l’analyse macro conduirait, si l’on désire agir sur la mobilité des agriculteurs, à une politique d’incitation à cette mobilité dans les zones à faible proportion d’agriculteurs, alors que l’analyse multiniveau montre que cette mesure ne serait d’aucun effet : en fait cette proportion n’agit que sur la probabilité de migrer des non agriculteurs L’approche mécaniste mise en place à la fin des années 1990, mais déjà présente sous une forme légèrement différente dès le XVIIème siècle avec Descartes et Leibniz, permet d’éviter cet appel à des attributs non vérifiables. On peut définir un mécanisme comme suit : Un mécanisme pour un phénomène consiste en des entités et des activités organisées de telle façon qu’elles l’entrainent forcément. Un événement est alors la cause d’un autre s’il y a un mécanisme qui les relie. Disons ici pour simplifier, suivant Robert Franck en 2002, qu’une première étape, pour mettre en évidence un mécanisme, va être d’observer systématiquement le phénomène social que l’on veut expliquer : c’est ce qu’a fait le démographe depuis 350 ans. La seconde étape consiste à inférer de l’observation de ce phénomène les fonctions du mécanisme qui sont nécessaires à sa génération : c’est un pas que malheureusement la démographie n’a pas encore réussi à franchir. La troisième étape va modéliser le mécanisme social qui génère le phénomène étudié, à partir des fonctions mises en évidence : certains de ces mécanismes ont déjà pu être étudiés dans certains cas en démographie, mais la méconnaissance des fonctions va rendre cette étude incomplète et surtout guère généralisable. La quatrième étape va vérifier si la combinaison des fonctions ainsi dégagées permet de guider l’analyse causale du processus et accroître sa pertinence. La mise en perspective de paradigmes différents en sciences de la population permet déjà une avancée dans ce domaine, qu’il serait utile dans un second temps d’axiomatiser. Notre travail dans ce domaine ne fait que commencer, et doit être poursuivi à l’avenir.Références : Boston Dordrecht London.Lewis, D. 1973. Counterfactuals. Blackwells: Oxford.-Smith, H., 2003. Some thoughts on causation as it relates to demography and population studies. Population and Development Review, 29(3), pp. 459-469