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Passer de l’échelle de groupe à celle de biographies individuelles ...

La démographie classique était basée sur les hypothèses d’homogénéité des populations sur lesquelles elle travaille

et d’indépendance entre les divers phénomènes étudiés. Les données d’état civil ne permettaient pas de vérifier ces

hypothèses, que seules des enquêtes détaillées ont pu lever.

Vers une analyse biographique complète

.

La multiplication des enquêtes détaillées dans les années 1980 et la mise en place d’outils probabilistes et statistiques, ont permis au démographe de passer de données agrégées (nombre d’individus ayant connu un événement une année donnée) à des données individuelles (un individu ayant un certain nombre de caractéristiques connaît divers événements, datés et localisés tout au long de sa vie). Cela conduit à une approche explicative, qui va chercher à démêler l’écheveau des faits, à mettre en évidence les dépendances entre les divers phénomènes et à détecter au cours du temps comment diverses caractéristiques individuelles peuvent influencer un comportement.
Cette approche lève l’hypothèse d’indépendance et fait intervenir l’effet des autres phénomènes, non pas en éliminant les individus qui les connaissent comme le propose l’analyse classique, mais en mettant en évidence leur influence sur les processus étudiés. L’introduction d’une analyse non-paramétrique des interactions entre phénomènes, généralise l’étude d’un seul événement, jusqu’alors seule utilisée par les démographes.
Cette approche lève également l’hypothèse d’homogénéité de la population sur laquelle on travaille. On suppose ici que ces comportements ne sont pas innés, mais qu’ils se modifient au cours de l’existence grâce aux expériences personnelles et aux acquis successifs. L’introduction de méthodes paramétriques ou semi- paramétriques, généralisant les régressions utilisées dans les études atemporelles, permet de faire intervenir de façon cohérente ces caractéristiques, qui peuvent alors dépendre du temps.
Des problèmes de mémoire
Le recueil des données biographiques peut se faire de façon prospective ou rétrospective. Les trop longs délais avant de pouvoir réaliser l’analyse et les pertes importantes d’enquêtés, lorsqu’on réalise une enquête prospective, enlèvent beaucoup d’intérêt à cette approche. En revanche, le recueil rétrospectif des biographies évite ces inconvénients et est, de ce fait, largement préféré. Cependant des erreurs de mémoire importantes peuvent apparaître avec ce mode de recueil. Il est dès lors indispensable de tester ces erreurs et de voir leur effet sur les analyses biographiques réalisées. Une enquête a pu être réalisée en Belgique avec Michel Poulain, pays existent également des registres de population, qui permettent de vérifier la qualité des données recueillies rétrospectivement. Cette enquête a montré que, si les erreurs étaient négligeables pour les événements familiaux, elles devenaient beaucoup plus importantes pour les migrations. Cependant diverses analyses biographiques, que j’ai pu effectuer sur les données recueillies par registre ou par interrogation séparée ou conjointe des enquêtés, ont montré, qu’en dépit de ces erreurs, les résultats en sont peu affectés. On peut dire que l’ordre logique des différents événements est bien remémoré et que les différences jouent le rôle d'un bruit de fond d’où l’on peut extraire une information cohérente. La mémoire semble donc fiable là où l’analyse l’exige. Des biographies fragmentaires L’utilisation de nouvelles sources de données biographiques plus exhaustives, mais fournissant malheureusement des informations fragmentaires, c’est-à-dire non observées de façon continue dans le temps mais seulement à diverses dates, a également pu être entreprise. Les méthodes pour réaliser ces analyses ont pu être testées grâce aux données de l’enquête 3B. L’Échantillon démographique permanent de l’Insee fournit des histoires de vie familiales complètes mais des histoires migratoires fragmentaires, sur la période s’étendant de 1968 à 1990. L’analyse de ces données fragmentaires montre cependant que la qualité des déclarations de type géographique aux recensements ne permet d’utiliser cette source qu’au prix d’un coût très élevé. L’Enquête sur la mobilité sociale, géographique et patrimoniale, réalisée par Jacques Dupâquier, suit un échantillon depuis le début du XIXe siècle avec également des informations fragmentaires sur la mobilité. Elle a permis un début d’application de ces méthodes, pour montrer l’évolution des migrations au cours de ce siècle. Mais l’absence de données censitaires, que l’on aurait pu recueillir en utilisant les bulletins individuels, rend ces estimations moins sûres. Nécessité d’un nouveau paradigme en démographie Il a également été nécessaire de mettre en place un nouveau paradigme pour la démographie, qui précise les conditions d’utilisation des méthodes d’analyse biographiques, indique les limites de cette approche et ouvre vers une approche plus synthétique des phénomènes démographiques. Contrairement au paradigme de la démographie classique, qui ne permettait d’étudier qu’un seul événement, considéré comme indépendant des autres, dans une population qui restait homogène au cours du temps, celui-ci permet l’étude d’une trajectoire complexe suivie par un individu tout au long de sa vie, qui dépend, à un instant donné, de sa trajectoire antérieure et des informations qu’il a pu acquérir dans son passé. Il résout de nombreux problèmes rencontrés dans l’utilisation du paradigme précédent et ouvre une voie très riche d’analyse des comportements humains. Il y a cependant un risque d’erreur atomiste lorsque l’on utilise l’approche biographique, centrée sur l’individu, car on ignore dans ce cas le contexte dans lequel les conduites humaines se produisent. Il paraît dans ce cas fallacieux d’isoler l’individu des contraintes de la société dans laquelle il vit. A l’inverse lorsque l’on utilise des grandeurs agrégées pour approcher l’effet que les groupes étudiés peuvent avoir sur leurs propres comportements démographiques on risque de commettre l’erreur écologique, si l’on cherche à déceler des comportements individuels à partir de mesures agrégées.
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Passer de l’échelle de groupe à celle de biographies individuelles ...

La démographie classique était basée sur les

hypothèses d’homogénéité des populations sur

lesquelles elle travaille et d’indépendance entre les

divers phénomènes étudiés. Les données d’état civil ne

permettaient pas de vérifier ces hypothèses, que seules

des enquêtes détaillées ont pu lever.

Vers une analyse biographique complète

.

La multiplication des enquêtes détaillées dans les années 1980 et la mise en place d’outils probabilistes et statistiques, ont permis au démographe de passer de données agrégées (nombre d’individus ayant connu un événement une année donnée) à des données individuelles (un individu ayant un certain nombre de caractéristiques connaît divers événements, datés et localisés tout au long de sa vie). Cela conduit à une approche explicative, qui va chercher à démêler l’écheveau des faits, à mettre en évidence les dépendances entre les divers phénomènes et à détecter au cours du temps comment diverses caractéristiques individuelles peuvent influencer un comportement.
Cette approche lève l’hypothèsed’indépendance et fait intervenir l’effet des autres phénomènes, non pas en éliminant les individus qui les connaissent comme le propose l’analyse classique, mais en mettant en évidence leur influence sur les processus étudiés. L’introduction d’une analyse non-paramétrique des interactions entre phénomènes, généralise l’étude d’un seul événement, jusqu’alors seule utilisée par les démographes.
Cette approche lève également l’hypothèse d’homogénéité de la population sur laquelle on travaille. On suppose ici que ces comportements ne sont pas innés, mais qu’ils se modifient au cours de l’existence grâce aux expériences personnelles et aux acquis successifs. L’introduction de méthodes paramétriques ou semi- paramétriques, généralisant les régressions utilisées dans les études atemporelles, permet de faire intervenir de façon cohérente ces caractéristiques, qui peuvent alors dépendre du temps.
Des problèmes de mémoire
Le recueil des données biographiques peut se faire de façon prospective ou rétrospective. Les trop longs délais avant de pouvoir réaliser l’analyse et les pertes importantes d’enquêtés, lorsqu’on réalise une enquête prospective, enlèvent beaucoup d’intérêt à cette approche. En revanche, le recueil rétrospectif des biographies évite ces inconvénients et est, de ce fait, largement préféré. Cependant des erreurs de mémoire importantes peuvent apparaître avec ce mode de recueil. Il est dès lors indispensable de tester ces erreurs et de voir leur effet sur les analyses biographiques réalisées. Une enquête a pu être réalisée en Belgique avec Michel Poulain, pays existent également des registres de population, qui permettent de vérifier la qualité des données recueillies rétrospectivement. Cette enquête a montré que, si les erreurs étaient négligeables pour les événements familiaux, elles devenaient beaucoup plus importantes pour les migrations. Cependant diverses analyses biographiques, que j’ai pu effectuer sur les données recueillies par registre ou par interrogation séparée ou conjointe des enquêtés, ont montré, qu’en dépit de ces erreurs, les résultats en sont peu affectés. On peut dire que l’ordre logique des différents événements est bien remémoré et que les différences jouent le rôle d'un bruit de fond d’où l’on peut extraire une information cohérente. La mémoire semble donc fiable l’analyse l’exige. Des biographies fragmentaires L’utilisation de nouvelles sources de données biographiques plus exhaustives, mais fournissant malheureusement des informations fragmentaires, c’est-à-dire non observées de façon continue dans le temps mais seulement à diverses dates, a également pu être entreprise. Les méthodes pour réaliser ces analyses ont pu être testées grâce aux données de l’enquête 3B. L’Échantillon démographique permanent de l’Insee fournit des histoires de vie familiales complètes mais des histoires migratoires fragmentaires, sur la période s’étendant de 1968 à 1990. L’analyse de ces données fragmentaires montre cependant que la qualité des déclarations de type géographique aux recensements ne permet d’utiliser cette source qu’au prix d’un coût très élevé. L’Enquête sur la mobilité sociale, géographique et patrimoniale, réalisée par Jacques Dupâquier, suit un échantillon depuis le début du XIXe siècle avec également des informations fragmentaires sur la mobilité. Elle a permis un début d’application de ces méthodes, pour montrer l’évolution des migrations au cours de ce siècle. Mais l’absence de données censitaires, que l’on aurait pu recueillir en utilisant les bulletins individuels, rend ces estimations moins sûres. Nécessité d’un nouveau paradigme en démographie Il a également été nécessaire de mettre en place un nouveau paradigme pour la démographie, qui précise les conditions d’utilisation des méthodes d’analyse biographiques, indique les limites de cette approche et ouvre vers une approche plus synthétique des phénomènes démographiques. Contrairement au paradigme de la démographie classique, qui ne permettait d’étudier qu’un seul événement, considéré comme indépendant des autres, dans une population qui restait homogène au cours du temps, celui-ci permet l’étude d’une trajectoire complexe suivie par un individu tout au long de sa vie, qui dépend, à un instant donné, de sa trajectoire antérieure et des informations qu’il a pu acquérir dans son passé. Il résout de nombreux problèmes rencontrés dans l’utilisation du paradigme précédent et ouvre une voie très riche d’analyse des comportements humains. Il y a cependant un risque d’erreur atomiste lorsque l’on utilise l’approche biographique, centrée sur l’individu, car on ignore dans ce cas le contexte dans lequel les conduites humaines se produisent. Il paraît dans ce cas fallacieux d’isoler l’individu des contraintes de la société dans laquelle il vit. A l’inverse lorsque l’on utilise des grandeurs agrégées pour approcher l’effet que les groupes étudiés peuvent avoir sur leurs propres comportements démographiques on risque de commettre l’erreur écologique, si l’on cherche à déceler des comportements individuels à partir de mesures agrégées.